Après avoir conquis le Mont Blanc (4.805 m) et le Kilimandjaro (5.895 m), Mohamed Rassoul Tounkara s’est attaqué à l’Elbrouz, le géant du Caucase. Il rêvait de planter le drapeau du Sénégal sur le « Toit de l’Europe » qui culmine à 5.462 m, mais son ascension a avorté à seulement 200 mètres du sommet. L’alpiniste sénégalais a préféré sauver la vie de son guide qui agonisait plutôt que d’atteindre son objectif. Il a remis à plus tard son rêve de vaincre le joyau de la Russie, l’un des plus hauts sommets du monde.
L’Elbrouz. Aux alpinistes, ce nom fait vibrer. Avec ses 5.642 m, ce mont, situé dans le Caucase, en Russie, est considéré comme le « Toit de l’Europe ». Il fait partie des Seven Summits (Sept sommets), un challenge pour des milliers de grimpeurs. Et pour le relever, ces derniers se lancent chaque année dans une ascension réputée difficile en raison du climat rude qui sévit dans la zone. Mohamed Rassoul Tounkara n’a pas encore un palmarès aussi large, mais son goût pour les sports extrêmes est sans fioriture. Les « Sept sommets » du monde constituent pour lui l’aventure, le défi d’une vie. Et en quête permanente d’adrénaline, il est plus que jamais déterminé, malgré les obstacles, à planter son drapeau sur chacun des sept points culminants des sept continents. Un exploit qui le propulsera sans aucun doute au rang de premier Sénégalais à réaliser l’ascension de sommets emblématiques et lui permettra de rejoindre la Marocaine Bouchra Baibanou dans le cercle des rares Africains à réussir cette belle performance.
Ainsi, après avoir dompté le Mont Blanc avec ses 4.805 m d’altitude en 2022 et le Kilimandjaro (5.895 m) l’année dernière, Mohamed Rassoul Tounkara s’est attaqué, samedi dernier, à l’Elbrouz, le géant du Caucase, qui occupe la cinquième place de la liste des « Sept sommets ». Ce défi représentait pour cet ingénieur en informatique une quête personnelle de dépassement. « J’ai toujours été fasciné par les montagnes et conquérir l’Elbrouz était pour moi une manière de tester mes limites physiques et mentales, surtout avec une ascension en hiver qui est beaucoup plus challengeant », explique Tounkara qui avait choisi de mener la conquête de la montagne russe par la voie sud. Ainsi, l’ascension devait se faire en plusieurs étapes : l’acclimatation, le choix de l’itinéraire, l’ascension jusqu’au camp de base avancé à 4.000 m, puis l’assaut final vers le sommet.
Pour le grimpeur, la préparation pour une telle ascension ne se mesure pas seulement en jours mais en mois. « Ça m’a pris 5 mois d’entraînement intenses pour pouvoir être prêt à affronter cette montagne ». Avant de se lancer dans son challenge, Tounkara a observé une acclimatation d’une semaine depuis le camp de base. Cette période, fait-il savoir, est indispensable pour s’habituer à l’altitude et éviter un éventuel mal des montagnes. Pendant sept jours donc, il est resté en altitude pour laisser son corps s’adapter au manque d’oxygène. L’assaut a duré du 23 février au 2 mars 2024. « Atteindre le sommet de l’Elbrouz peut varier en fonction de nombreux facteurs, notamment la préparation physique, les conditions météorologiques, et l’itinéraire choisi. Pour ma part, l’ascension proprement dite a duré un jour depuis le camp de base, après une semaine d’acclimatation pour s’habituer à l’altitude », indique-t-il. Pour lui, l’acclimatation en montagne n’est pas seulement physique. Elle est aussi morale. « L’épreuve n’est pas seulement contre les éléments mais contre soi-même, pour continuer à avancer malgré la souffrance ».
Après cinq mois de préparation physique et mentale, d’investissements financiers et de temps, Tounkara se lance le samedi 2 mars. L’Elbrouz étant connu pour sa météo capricieuse, il prit le soin de vérifier avec son équipe pour s’assurer que les conditions sont favorables pour affronter le froid, l’altitude et le glacier de ce géant qu’ils tentaient d’apprivoiser depuis sept jours. La météo annonçait -37 degrés, avec un vent de 20 km/h ; ce qui donnait un ressenti de -52 degrés à 5.000 m d’altitude. De simples chiffres qui font battre son cœur d’appréhension. Il se dit qu’après tout, il était venu chercher le froid extrême, la peur, le manque d’oxygène, la souffrance, mais pas la mort.
Rêve reporté
Chez Rassoul Tounkara, la prudence est toujours de mise. « Je mesure toujours les risques. Je me suis équipé de mon oxymètre pour surveiller mon taux d’oxygène et mon rythme cardiaque. En montagne, mes constantes ne sont jamais les mêmes qu’au niveau de la mer, mais après sept jours d’acclimatation, je suis en bonne forme. Sur le plan mental, je suis également prêt, fortifié par ma routine qui m’apporte force et confiance », renseigne-t-il. La veille de l’ascension, il n’a presque pas réussi à fermer l’œil. « Je me suis couché vers 18h pour essayer de récupérer un peu avant le départ pour le sommet prévu à minuit. Presque personne n’a réussi à dormir, probablement à cause du stress », raconte-t-il. « Étrangement, en montagne, le manque de sommeil ne m’affecte pas autant. En expédition, mon corps passe en mode survie. Peu importe si mon alimentation ou mon sommeil sont perturbés, je parviens toujours à avancer jusqu’à la fin. Par contre, à la maison, si je ne dors pas mes 7 heures, je me sens comme un zombie toute la journée. Mais là, l’objectif est proche ».
À 23h30, Mohamed Rassoul et son équipe commencent à s’équiper. En hiver, l’alpinisme exige un équipement spécifique pour ne pas succomber au froid. « Mon équipement, d’une valeur de 5.000 euros, est à la fois coûteux et lourd, mais nécessaire pour survivre », tient-il à préciser. À minuit, le départ est donné. Malgré le froid extrême, la beauté de la nuit étoilée et la chaîne du Caucase les accompagnent dans leur quête. L’ascension se déroule normalement, jusqu’à … 5.400 m d’altitude. Là, les choses se compliquent. Un des guides, en grande difficulté, agonisait. C’était l’affolement général. Après avoir bravé des vents à plus de 20 km/h et des températures de -35 degrés, ils ont été obligés d’interrompre l’ascension. « À cette étape, l’un de nos guides est en difficulté, avançant lentement et semblant épuisé. Malgré son état, il fume une cigarette à 5.400 m d’altitude, ce qui est non seulement surprenant mais aussi irrespectueux dans un environnement qui devrait être préservé. Face à son état critique, la décision est prise de redescendre pour éviter un drame », narre Tounkara, amer.
Il avait rêvé de conquérir le géant du Caucase, de trôner sur son sommet s’élevant majestueusement à une impressionnante hauteur de 5.642 mètres pour admirer les sublimes paysages de haute montagne, mais il ne réussira pas à planter le drapeau sénégalais sur le plus haut sommet d’Europe. Il devra encore attendre pour savourer son bonheur. « Il y avait quelque chose de bien plus important que le sommet. Car, pour moi, une vie humaine est bien plus précieuse que la montagne. Donc, je n’ai pas ressenti une grande déception de ne pas être allé jusqu’au bout. Je me suis dit que rien n’était encore fini, que je redescendais pour mieux remonter », confesse-t-il.
Tounkara et son équipe entament quelques minutes plus tard la descente qui exige l’utilisation de techniques d’alpinisme avancées pour assurer sa sécurité. Après une longue et éprouvante journée, ils rentrent au camp de base. Le guide est évacué à l’hôpital, tandis que lui s’en sort avec des débuts d’engelures. Malgré ce fiasco, l’Elbrouz reste pour Mohamed Rassoul Tounkara un défi à relever. Et il compte bien y retourner pour terminer ce qu’il a commencé, c’est-à-dire les 242 m restants. « Tôt ou tard, je reviendrai, que ce soit dans une semaine, un mois ou un an », promet le grimpeur qui, en parallèle du challenge des « Sept sommets », est aussi tenté par les 14×8.000, en commençant par le Manaslu (8.163 m), une montagne située au Népal et qui est l’un des 14 plus hauts sommets du monde. Mais son plus grand rêve dans l’alpinisme, c’est de faire les 8.000 m sans oxygène. Et il compte bien se donner les moyens d’y arriver.
Samba Oumar FALL
Source : https://lesoleil.sn/alpinisme-rassoul-tounkara-a-l...